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Seizièmes Journées Internationales de Sociologie du Travail (JIST)
Cnam, Paris, 9-10-11 juillet 2018 

 

Appel à communication

 

Le travail en luttes : résistances, conflictualités et actions collectives

 

Les grèves à l’usine Renault de Billancourt ou Marzotto en Italie, la grève productive des Lip ou encore les séquestrations de « patrons » comme celle du directeur de l’usine Sud Aviation de Bouguenais font partie des symboles du mouvement de mai 1968 au même titre que les barricades étudiantes dans le quartier latin ou les « émeutes de Pâques » à Berlin. Ces Journées Internationales de Sociologie du Travail de 2018 nous offrent l’occasion de réinterroger, cinquante ans après ce « moment critique », d’une part la centralité du travail dans les luttes sociales et d’autre part les transformations des luttes et de leurs enjeux au travail.

En cinquante ans, le monde du travail a connu quelques grandes évolutions dont il s’agit de mesurer les effets sur les objets et les formes de conflit, de lutte ou de négociation : féminisation et vieillissement de la main d’œuvre salariée, salarisation du plus grand nombre accompagnée au cours des dernières décennies d’une montée de la précarité associée à la crise. De même, l’interdépendance des économies à une échelle plus large a-t-elle pu favoriser des mouvements migratoires contrecarrés par des politiques visant à les contrôler. Dans le même temps, la tertiarisation et les changements technologiques (numérisation, automatisation…) affectent concrètement le travail. Ces évolutions du travail et de l’emploi tant dans leur dimension technique qu’organisationnelle ont également des effets dans la manière dont les collectifs se nouent à l’occasion de conflits contemporains.

Des propositions de communication embrassant une large palette de modes de contestation, allant des micro-résistances individuelles à l’action collective organisée, portant sur des terrains nationaux ou transnationaux, sont attendues autour des cinq axes suivants :

  

Axe 1 : Quelles transformations du répertoire de la lutte collective et individuelle ? 

Longtemps, les luttes sociales engageant les questions de travail et d’emploi ont été associées à ce que l’historien Charles Tilly a nommé un répertoire de l’action collective autonome et national. Ce schéma a-t-il encore de la pertinence ? Certains travaux suggèrent que nous inventons aujourd’hui un nouveau répertoire caractérisé, pêle-mêle, par une montée de l’internationalisation des luttes et un développement des réseaux d’action transnationaux, une utilisation également croissante du médiatique et du symbolique, une intrication plus étroite entre action publique et mobilisations collectives…  Cela se vérifie-t-il empiriquement ? De quelles manières et avec quelle intensité ? Peut-on en conclure à l’invention d’un nouveau répertoire des luttes sociales concernant le travail et l’emploi ? En quoi peut-on rapporter les formes et les enjeux de l’action aux propriétés sociales des acteurs ? En quoi les rapports sociaux de classe, de race et de genre déterminent-ils les modes d’organisation des conflits ? 

Les recherches les plus récentes sur les grèves et les arrêts de travail poussent d’ailleurs à adopter une posture plus réflexive qu’auparavant en questionnant les modes de construction des instruments utilisés pour appréhender et mesurer les conflits (statactivisme, implication des chercheurs dans les luttes…). Qu’en savons-nous aujourd’hui ? Quelles méthodologies s’inventent aujourd’hui ? Comment et avec qui ? Au chapitre des interactions entre instruments et registres d'action collective, l'essor des moyens numériques de communication tient une place importante. Ce que certains nomment la « révolution numérique » a-t-il changé la donne du point de vue des mobilisations (dans leurs formes, dans leur organisation, dans leurs implications...) ? 

Il nous semble important de ne pas étudier l’action collective et individuelle que du côté des salariés, mais d’explorer la variation et l’innovation dans les formes d’action patronale, que ce soit des grands patrons, des petits entrepreneurs ou du mouvement patronal organisé. Des bonnets rouges aux « pigeons », le patronat français a révélé sa capacité d’organisation pour éviter des taxes supplémentaires. Des techniques de répression directe de l’action syndicale à des formes de domestication plus larvée, comme le soutien à des syndicats-maison, le patronat met en œuvre différentes actions. A ce titre, le droit peut être considéré tantôt comme une ressource pour la lutte des travailleurs, tantôt comme un instrument d’empêchement lorsque le droit de grève est menacé ou lorsque les mouvements font l’objet de répressions. 

Enfin, que peut-on dire des effets de la lutte, tant en termes d’acquis, qu’en termes de construction de collectifs militants à même de se remobiliser ultérieurement ? A quelles conditions l’aphorisme qui prétend que « seule la lutte paie ! » est-il vérifié empiriquement ? Et quels sont les produits concrets de la lutte ?

 

Axe 2 : L’emploi transformé : quelles nouvelles conflictualités ?

Depuis de nombreuses années, les transformations du salariat et la démultiplication des formes de mise au travail posent un défi aux acteurs historiques de la représentation collective des travailleurs. Plus largement, ces transformations sont à même de recomposer les conflits capital/travail. De quelles manières, les évolutions « morphologiques » de la population active ont-elles changé le visage des luttes ? En quoi la féminisation, la tertiarisation et la salarisation modifient-elles la manière dont les travailleurs sont amenés à se mobiliser ? La persistance d’un chômage de masse et le développement d’une précarité structurelle font peser une menace sur celles et ceux qui travaillent. Cette menace est-elle de nature à décourager l’engagement ? L’action collective est-elle l’apanage des actifs occupés ? Ou, au contraire, assiste-t-on au développement de mobilisations de la part de celles et ceux qui sont privés d’emploi ? Le développement de politiques de l’emploi pensées pour favoriser les créations d’emploi ou, à tout le moins, pour en limiter la destruction a-t-il un effet de pacification sociale ?

Comment la reconfiguration des périmètres des entreprises, avec des multinationales qui dominent leurs sous-traitants ou imposent leurs conditions à leurs fournisseurs ou prestataires free-lance, modifie-t-elle les espaces d’expression, de résistance et de lutte des travailleurs ? Comment, au Nord comme au Sud, les syndicats défendent-ils – ou non - les intérêts des salariés en sous-emploi ou sous contrats précaires, des nouveaux indépendants, des pluriactifs qui chevauchent la frontière entre indépendance et salariat, des salariés sans salaire, des stagiaires ou encore des travailleurs des plateformes ? Quels nouveaux acteurs (coordinations, coopératives, associations, ONG) voit-on émerger dans les luttes que mènent ces travailleurs pour leur revenu, leur protection sociale, la maîtrise de leurs conditions de travail ? Quelles sont les voies explorées par les travailleurs non-salariés, entre intégration au salariat, défense de l’indépendance ou invention de nouvelles formes coopératives ? 

Dans ce contexte de mutations rapides, des professions réglementées se trouvent menacées et tentent de se défendre (exemple des assistantes de service social en France, des camionneurs aux Etats-Unis), tandis que d’autres professions s’efforcent de conquérir leur légitimité (les aidants familiaux par exemple). Quels rôles jouent les pouvoirs publics face à ces luttes enchevêtrées ? Quel est le rôle du droit face aux demandes de requalification émanant de syndicats à propos de travailleurs préalablement externalisés ? Quelles sont aussi les limites d’une action publique nationale face aux régulations de l’emploi mises en place par des acteurs supranationaux ? 

Enfin, le secteur public et les entreprises publiques ont depuis plusieurs décennies été le lieu de déploiement de la contestation sociale et syndicale. Comment les différentes réformes de l’emploi public, avec leur lot d’individualisation et de précarisation, affectent-elles la capacité de résistance de celles et ceux qui réalisent les services d’intérêt général ? Quelles sont les possibilités de lutte pour la reconnaissance et la qualification de leur activité, pour celles et ceux dont le statut n’est précisément pas un statut d’emploi (bénévoles, service civique, volontariat…).

 

Axe 3. Le travail et ses techniques : quels enjeux de lutte dans les organisations ?

Les sociologues du travail constatent une emprise croissante des pratiques de gestion sur le cours des organisations privées, publiques et associatives si bien qu’il ne s’agit plus seulement de l’introduction de nouvelles technologies dans les entreprises (robotique, technologies numériques, etc.) mais aussi de techniques organisationnelles (dispositifs de gestion, procédures, méthodes d’organisation et de gouvernance, etc.). Les outils techniques et organisationnels sont ambivalents car ils sont facteurs à la fois d’accroissement de l’autonomie au travail, d’intensification du travail et d’accroissement de la surveillance et du contrôle. Quelles sont les formes de lutte et de résistance collectives ou individuelles dans un univers structuré par des technologies matérielles et organisationnelles ? Débouchent-elles sur une critique plus générale du travail ?

Quelle est la pertinence de la constitution de lieux où sont mises en débat les exigences de qualité posées par les salariés eux-mêmes ou par le management ? Les résultats obtenus sont-ils convaincants ? Sont-ils de nature à permettre une amélioration des conditions de travail et plus largement de la qualité de vie au travail ? Sinon, quelles sont les autres formes de résistance et d’action collective qui mettent en jeu la possibilité d’améliorer la santé des travailleurs ?

Si l’on considère que les technologies et les dispositifs de gestion servent avant tout la rentabilité des investissements, leur emploi systématique vise à augmenter la productivité du travail. L’idéologie reste productiviste avec ses derniers avatars que sont la performance et l’excellence. Derrière les résistances et les luttes contre les outils techniques et organisationnels perçoit-on une remise en cause de cette idéologie ? Des justifications d’action en termes d’antagonisme d’intérêts ou de classes sociales émergent-elles ? Des alternatives sont-elles proposées ?

Les entreprises du mouvement FabLab et les micro-entreprises assurent-elles à leurs travailleurs une qualité de vie au travail adéquate et des formes de dialogue et de résolution des conflits efficaces ? La forme des conflits et leur résolution dans ces entreprises constituent-elles des alternatives originales et des expériences inédites de transformation du travail ?

La pure mise en relation marchande des plateformes de service nées avec le numérique résiste-t-elle à l’action de leurs travailleurs ? De quelles actions s’agit-il ? De nombreuses initiatives sont prises en matière de numérique : des luttes sont-elles à la source du droit/devoir à la déconnexion ? Du déploiement des accords de télétravail ? De la résorption de la fracture digitale ? Quelles résistances et luttes présentent un potentiel novateur ? Quels sont les nouveaux objets de la négociation sociale ?

 

Axe 4. Les espaces de l’action, de la négociation et de la régulation

Alors que les interdépendances économiques et financières internationales se sont manifestées de façon éclatante à l’occasion de la crise de 2008, la question des espaces pertinents de la contestation, des cadres de régulation de l’emploi et du travail mais aussi des normes de référence de ces régulations se pose aujourd’hui à nouveaux frais. Les phénomènes tels que les transferts d’informations, les mouvements de capitaux ainsi que la circulation de services et de travailleurs, sont fortement liés aux marchés, aux réglementations et aux institutions. La construction de zones de libre échange continentales, ou internationales sur un grand nombre de marchés de produits, s’est accompagnée depuis les années 1980 d’un mouvement important de dérégulation des relations d’emploi et du travail, et, de façon moins systématique et plus réversible, d’ouverture de la circulation des travailleuses et travailleurs au sein de ces zones. Les organisations internationales prescriptrices de ces normes néo-libérales ont édicté un triple objectif de flexibilisation des relations d’emploi, de maximisation des taux d’emploi et de substitution des divers revenus acquis par la protection sociale par des revenus du travail. Dans la plupart des économies développées, une nouvelle hiérarchie des normes de régulation du travail et de l’emploi s’est imposée dans le sens d’une forte décentralisation : les régulations nationales et de branche ont pu être affaiblies au profit de régulations d’entreprise. A quelles conditions, cette décentralisation implique-t-elle des formes de dépossession ou au contraire est-elle à même de donner plus de pouvoirs aux travailleurs ?

Face à cet agenda systémique qui a mobilisé l’essentiel de l’attention des pouvoirs publics et de l’essentiel des acteurs publics et privés, quelles sont les marges de manœuvre dont peuvent se doter des collectifs ou des individus ? Comment les organisations syndicales au niveau local, national et transnational s’adaptent-elles à ces nouveaux espaces ? Quels systèmes de normes, statuts, représentations du travail et de l’emploi ont été mobilisés ou repensés pour créer des espaces alternatifs ? La crise programmée des espaces de libre échange peut-elle aboutir à une revalorisation des régulations « classiques » du travail ? Plus encore, la transformation des cadres d’inscription du travail représente-t-elle seulement une menace supplémentaire pour les régulations collectives du travail et de l’emploi ou des opportunités inédites de régulation sont-elles en train de se dessiner, de façon très localisées – expérimentations locales – ou au contraire, dans le cadre de constructions multi-situées qui dessinent des espaces de mobilisations sociales inédits ?

 

Axe 5. Changer le travail, changer la société ?

Les « années 1968 », en France comme dans d’autres pays industrialisés, ont révélé la dimension politique des grèves et luttes ouvrières, dépassant la pratique revendicative habituelle, historiquement assise sur le couple salaire/temps de travail. La contestation du modèle taylorien d’organisation du travail, la remise en cause de l’ordre établi au sein de l’espace de travail, les conflits ayant trait aux conditions de travail, l’exigence de contrecarrer l’arbitraire des détenteurs de l’autorité… tout cela interroge les rapports de pouvoir au sein des entreprises et, plus généralement, exprime l’aspiration des salariés à la démocratie sociale, politique et aussi syndicale. En d’autres termes a émergé le souhait d’une transformation du cadre des relations de travail, qui dans certains cas se traduit par des manifestations à la fois originales et radicales (grèves productives, autogestion, coopératives de production et de consommation, etc.).

Ceci dit, l’exigence d’un droit de regard sur les décisions concernant l’organisation du travail et le contenu même du travail est une revendication récurrente, fusse-t-elle minoritaire, des mobilisations des travailleurs et travailleuses tout au long de l’histoire du capitalisme moderne. Décider ce que l’on produit, quand et comment l’on produit revient à interroger les fondements du pouvoir dans le régime de production capitaliste. Derrière ces luttes, il émerge non seulement un différend sur la forme et le contenu de l’objet « travail », mais aussi sur les contours du cadre social dans lequel il s’inscrit. Ainsi, les enjeux relevant de la critique du travail sont à même de véhiculer une nouvelle vision de la société et des relations qu’elle engendre.

Partant de ce rappel historique, cet axe entend interroger les conditions de production d’un changement de la société dans et par le travail. On peut repérer de nombreux signaux témoignant de la présence de nouvelles formes de lutte au travail, dont la connotation politique (au sens de critique du statu quo capitaliste et de ses propres valeurs) et culturelle n’est pas à sous-estimer. Que ce soit, par exemple, par le biais des contestations de la précarisation croissante de l’emploi, des luttes pour la régularisation des travailleurs sans-papier, des revendications pour l’égalité au travail entre femmes et hommes, ou encore de l’expérimentation des principes anarchistes et libertaires au sein du mouvement « make-faire », le travail reste au cœur d’une revendication axée sur les principes d’émancipation, de participation et de changement social. Quel rôle joue la thématique du travail dans les mouvements sociaux contemporains, comme par exemple Occupy ou Nuit Debout ? Quelle connexion organisationnelle et symbolique avec d’autres mouvements (pour une autre consommation, environnementalistes, féministes, partisans, pour les droits des minorités…) observe-t-on ? Au contraire, quelles formes de concurrences entre ces différents mouvements se font jour, en particulier quand la création ou la sauvegarde de l’emploi est mise en balance ? En d’autres termes, quelle place aujourd’hui pour les utopies dans le travail et par le travail ?

 

Propositions de communication : avant le 15 novembre 2017

Envoi d’un résumé de 2500 signes maximum (espaces compris), présentant la problématique, le cadre théorique, les supports empiriques et les principaux résultats, avant le 15 novembre 2017. Ce résumé, rédigé de préférence en français (ou en espagnol ou anglais), sera déposé sur la plate-forme Sciencesconf : il vous faut d’abord créer un compte sur cette plate-forme :

https://www.sciencesconf.org/user/createaccount

En vous connectant au site des JIST, http://jist2018.sciencesconf.org, vous pourrez ensuite faire votre dépôt (Dépôts/Déposer un résumé) en recopiant votre texte rédigé dans le cadre prévu. Si besoin, une notice Aide au dépôt des résumés est disponible ici.

Réponse du comité scientifique le 15 décembre 2017.

Le texte de la communication ne devra pas excéder 40 000 signes et être déposé sur la plate-forme avant le 1er mai 2018.

 

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